Bilan 2015 : Les k7 de l’angoisse
Selon Jocelyn Anglemort
, le 1er janvier 2016
Jocelyn Anglemort nous a fait l’honneur de nous cuisiner sa sélection sucré/salé de 2015. Soit une ribambelle de mixtapes sacrément sinistres, et issues, pour la plupart, du fond du gouffre.
Ce classement est d’une extrême mauvaise foi.
Entre quelques blockbusters et les habituels seconds couteaux, c’est surtout l’occasion ici de féliciter les artisans du cyber-rap qui tentent de se faire leur place en mutualisant les efforts, sans se plier aux modes du moment. Cette année 2015, je l’ai essentiellement passé à rôder dans les bas-fonds de soundcloud, de bandcamp, et d’obscurs forums des pays de l’Est, délaissant malheureusement quelques incontournables sur le bord de la route (Compton et Kendrick Lamar, Fetty Wap / Mac Miller / Travis Scott et beaucoup d’autres).
Plus que jamais, en 2015 il est presque impossible de décrire le rap que l’on aime par une simple indication géographique, c’est sans doute ce qui rend cette musique toujours plus fascinante à mes yeux. Pour mour moi le rap en 2015, c’était un californien exilé en Floride qui perpétue l’héritage de Memphis. C’était aussi King Louie qui malgré les tentations vampiriques du toy-boy Drake, sort un album glaçant et destructeur. Le rap en 2015, c’était mélanger les Pokémons, les opiacés et la culture porn, et filmer le tout dans son jardin avec ses potes.
Ainsi, je vous souhaite une année 2016 entre haine et amour, casque vissé sur la tête et pioche à la main pour continuer à creuser. Et de m’envoyer vos pépites.
1/ King Louie – Drilluminati III Une balle dans la carafe
Étrange idée de sortir cet album au début de l’été tant sa totale absence d’air n’aurait jamais du se marier avec l’étouffante chaleur estivale. Indétrônable dans mon cœur depuis sa sortie, Drilluminati III est la BO 2.0 d’un film d’Abel Ferrara, de l’acier brûlant dans les artères. Cerise sur le gâteau, King Louie a achevé sa mutation en robot en avalant un peu de plomb pour Noël. Rap Jeu Robert Patrick.
2/ Ramirez – Meet Me Where The River Turns Grey Fontaine zen et pipe à eau
Blood Diamond sorti aussi cet été était déjà très bon, mais comme le tonnerre qui suit la foudre Meet me... a frappé très fort. Le producteur Genshin ouvre son coffret « Musiques du Monde » et mouline avec les diaboliques potions de Memphis. Rap jeu « Nature & découverte ».
3/ WavyJone$ - HalfwayHeaven Rite fluorescent
Un album qui ne se voit que dans le noir, où l’on célèbre la chance de mourir prochainement.
Le Diable souffle ici de vilaines pensées à WavyJone$ qui les déroule sur des beats détraqués sans doute conçus à la lumière d’une bougie.
4/ BakerPhonk – Night Breed L’hôtel sacrificiel de Sherilyn Fenn
Peu de surprises ici, on est conviés à partir en guerre l’héritage de Memphis en bandoulière et la basse soulevant le palpitant pour se donner du courage. Mais comme ils le disent, tu peux toujours essayer de rapper comme eux.
5/ Fukkit – Miami Hotboy Tonneaux en décapotable
6 chansons pour 17 minutes, pas de refrain, pas de pitié.
Mention spéciale pour ce chouette surnom auto-attribué « Lil FukkFace ».
6/ Smug Mang – The Coldest Winter Ever The carter 6
Smug Mang, toujours enfermé derrière ses « xanax bars », est ce que Lil Wayne devrait être en 2015 : Un gremlins arrosé en permanence chantonnant l’amour qu’il porte pour sa mère, avec pour seule équipe d’anciens docteurs nazis inventant les drogues du futur.
7/ SD – Just The Beginning Ghetto rock star
En plus d’avoir participé au seul bon morceau de l’album de Brodinski, SD a aussi sorti Just The Beginning, une K7 riche en détails dans les productions et les textes. Enfant devenu adulte trop tôt, SD raconte la rue et le rap avec une étonnante lucidité, conscient du temps et de l’énergie nécessaire pour s’asseoir sur le trône. C’est tout ce que je lui souhaite.
8/ Nacho Picasso - Stoned and Dethroned Cunt Eastwood
A mes yeux le meilleur écrivain de paroles de chansons de rap. La force de Nacho demeure dans l’incroyable richesse de son lexique, il est ainsi capable des jeux de mots les plus extravagants « Heroin Monroe, Crack Nicholson, Orlando Shrooms », et d’images loufoques « What you call an overdose, I just call that a nap » . Misogyne, drogué, cinéphile, détraqué sexuel, Nacho possède toutes les qualités nécessaires à l’écriture du rap moderne.
9/ Future – Dirty Sprite 2 Claquettes de piscine
Que rajouter à l’album qui nous a tous convaincu cette année ? Grand disque du plus grand rappeur moderne, DS2 nous rappelle que les grandes œuvres naissent en période de conflit.
10/ Tee Stunna – Rejected
Dans la catégorie « petit jeune qui crée la surprise », ça s’est joué entre lui et Kodak Black au pile-ou-face. Tee Stunna croque toutes les chansons comme un animal sorti de sa cage, sans une seconde de répit. Réjouissant et encourageant.
11/ Vince Staples – Summertime ’06 Compton dans les nuages
La BO psychédélique d’une nuit dans la rue, entre petits larcins et courses poursuites avec les flics. Les coups pleuvent et le sang coule, dessinant de grandes spirales nous rappelant qu’une fois la fin venue, la lumière finira par l’emporter.
12/ $uicideboy$ - High Tide in the Snake’s Nest
Lire l’article très complet paru sur FoxyLounge.
13/ PeeWee Longway – MPA Vol2 Gros M&M’s
Comme souvent avec PeeWee, c’est un peu le bordel et le mastering laisse parfois perplexe. Pourtant, c’est encore une k7 extrêmement plaisante qu’il nous livre, pleines d’expérimentations aventureuses ( les instrus de Product ou Boyz N Da Hood) et de copains contents d’être là en featuring. Pas mal ce que j’attends d’un rappeur d’Atlanta finalement.
14/ Cashy - Holographic Art Snoop drogue
Grosse synergie entre Cashy et le producteur PurpDogg sur ce projet. Total je-m’en-foutisme, les vapeurs d’herbe cannibalisant la moindre énergie. La BO d’un été le compte à sec et les yeux collés.
15/ Main Attrakionz – 808’s And Dark Grapes III Ni cloud ni vice
« Cloud rap » est un mot qui a beaucoup résonné cette année, notamment pour comprendre le succès de PNL. Main Attrakionz fait toujours honneur à cette scène vaste et indéfinie, surtout quand ils fusionnent avec les producteurs Friendzone pour de belles odes aux pilules et à la ribouldingues californiennes.
16/ Maxo Kream – Maxo 187 Rap Jeu Nicolas Vanier
Jean-Pierre Labarthe, le maître Splinter du rap, m’a souvent dit « Maxo est une bête », et l’a magnifiquement bien expliqué sur Captcha Mag.
Visuel par Bogdan