Bilan 2015 : Expérimentations musicales
Selon Naïma
, le 7 janvier 2016
Naïma partage avec nous le fruit de son année de butinage musical.
– Colleen - Captain of None (Thrill Jockey)
Ensorcelant, sinueux, incandescent, le sixième album de la française Colleen opère un revirement musical singulier alors même que ses prédécesseurs n’étaient aucunement en voie d’essoufflement. Usant d’un instrument peu commun, la viole de gambe, Colleen affectionne les effets de delay et echo empruntés au dub et expérimente avec l’imbrication de boucles pour livrer ici un opus (d)étonnant. Difficile de ne pas parler de mains de féé tant son jeu se déploie avec une vélocité aérienne, tissant une lumineuse étoffe de notes qui se voit brillamment entrecoupée de passages de percussions et régulièrement accompagnée par la douceur de sa voix. Un délice.
– Colin Stetson & Sarah Neufeld - Never Were The Way She Was (Constellation)
Collaboration électrique entre le saxophoniste virtuose Colin Stetson et la jeune violoniste Sarah Neufeld, Never Were The Way She Was est une agile juxtaposition d’univers défiant les descriptions et s’inspirant de l’histoire d’une jeune fille qui vieillit au rythme des montagnes. Instigateur depuis de nombreuses années d’une véritable plasticité technique lui permettant de créer un spectre étourdissant de textures et d’ambiances, Stetson se voit ici accompagné du jeu délicat de Neufeld pour façonner des morceaux mutants, extirpant régulièrement des sons improbables de son instrument. Never Were The Way She Was laisse peu de répit à son auditeur, égrenant à un rythme parfois effréné passages contemplatifs et vivifiants, rugueux et limpides, le tout sous-tendu par une nervosité aussi intense qu’exaltante. Fulgurant.
– Ahnnu - Perception (Stones Throw Records)
Roi des déambulations sonores de toute beauté, Ahnnu signe une fois de plus des morceaux graciles et abstraits, aux inflexions moins jazzy que certains de ses prédécesseurs mais non moins savoureux. Techno disparate et minimaliste s’enchevêtrent avec des sonorités chaudes et mystérieuses en une narration troublante. A noter aussi en 2015 une somptueuse collaboration avec Nerftoss que l’on espère bien voir se réitérer bientôt.
– Micachu and The Shapes - Good Sad Happy Bad (Rough Trade)
Après s’être attelée à la bande son d’Under The Skin, l’anglaise Mica Levi se tourne vers un terrain lo-fi largement improvisé avec Good Sad Happy Bad. Dans les deux cas, on retrouve comme (seul ?) point commun une subtilité de composition qui requiert néanmoins des écoutes attentives dans le cas de Good Sad Happy Bad, tant la matière insouciante des morceaux peut leur conférer un aspect brouillon voire déroutant pour certains (idem pour le loop vocal simili-truie sur Unity, au sujet duquel on reste encore dubitatifs). Quoi qu’il en soit, la candeur punk de Micachu n’a rien perdu de son charme et l’album affiche des hauts idiosyncratiques qui ne sont pas prêts de se dissiper de sitôt.
– iiye - Reggie, Ernest, Wester, Rusty
En fidèle extension de sa pochette, Reggie, Ernest, Wester, Rusty revêt une élégance singulière rappelant presque un univers lynchien tant il mêle habilement l’étrange au suave. L’opus est peuple d’ambiances feutrées, pas tant déstructurées que serpentines et quasi-intégralement dénuées de rythmiques. Prolifique, leur créateur entretient le mystère en multipliant les noms de scène (iiye, Pink Siifu, ronee sage). Diablement obsédant.
– Nerftoss - Mood Index (Patient Sounds)
On l’évoquait plus haut dans le cadre de sa collaboration avec Ahnnu, Nerftoss est John C. Jones, bassiste du groupe Dope Body, “DJ psychique” selon son label Patient Sounds et homme aux multiples talents (on citera notamment de bien belles photos à découvrir sur son site). Il livre en 2015 un album solo contrasté et vif dont la splendeur revigorante ne cesse de se dévoiler au fil des écoutes. A ne pas rater.
– SK Kakraba - Songs of Paapieye (Awesome Tapes From Africa)
Maître du gyil, le xylophone ghanéen, SK Kakraba fut longtemps un membre actif de la communauté musicale au Ghana, enseignant l’art de son instrument et en fabriquant lui-même avant d’emménager à Los Angeles, où il continue de consacrer le plus clair de son temps à jouer. Paru sur l’excellent label Awesome Tapes From Africa, l’album est composé d’improvisations autour de chansons traditionnelles et de compositions originales ; y figurent en outre des chants funèbres radieux, pour lesquels “plus les gens dansent, plus les défunts reposeront heureux.”
http://www.awesometapes.com/sk-kakraba-songs-of-paapieye/
– Zachary Utz - Lovers Rock (Player Press)
Dope Body réunit décidément de talentueux artistes. Guitariste du groupe, Zachary Utz contribue ici l’énième preuve que se perdre dans le dédale de Bandcamp à cliquer sur des pochettes toutes plus saugrenues les unes que les autres peut mener à découvrir de véritables perles. Au cours de ces deux morceaux de 14:14 chacun, Lovers Rock mêle influences psyché, envolées contemplatives et blues spectral à des bribes de leçons sur les accords grammaticaux français. Les incontournables, en somme.
– Roy Harmon - Pagim (Raw Tapes)
Errance aux accents pastoraux et psychédéliques tout à la fois, Pagim fait du bien. Pour citer sa bio directement, “Roy’s compositions make you feel like happiness and sadness are getting along quite well”. Trompettiste de formation, il s’éprend des synthés et bricole des odes rêveuses dont le flouté doux accompagne parfaitement les fins de soirées champêtres.
– Wave Temples / Heat Sureens (rainbow pyramid)
Clôturant le bilan dans l’ésotérique et la douceur entremêlés, la split tape de Wave Temples et Heat Sureens est un méandre chatoyant d’exaltant et de saturnien, véritable mosaïque d’univers mystiques ponctués d’ombres diffuses qui se trame tout en délicatesse. Une ode aux sens.