Dungeon Synth, the Dark Paths
Descente dans les sombres corridors de la dungeon synth
, le 19 mai 2017
Une sélection d’albums, un mix et un focus autour de cette sinistre scène qui serpente quelque part entre noise, ambient, black metal et folklores médiévaux.
Musique de film sans film, bandes originales pour dépression chronique, lectures lovecraftiennes ou séances nocturnes de Jeux de rôle sur table, la Dungeon Synth est une musique, souvent bricolée avec des bouts de ficelles, qui hésite entre grâce minimaliste, soif d’expérimentations et jeux de références à la frontière du mauvais goût.
Mix : Jocelyn Anglemort
Genre musical à la croisée des chemins, la dungeon synth est perdue sur une terre aride, quelque part entre la musique de film, tendance heroic fantasy (Conan), et l’ambient la plus sombre. Ce sous-genre du black metal, dont les inspirations se veulent également visuelles et littéraires, est en effet tiraillé dans plusieurs directions. À tel point qu’il a à son tour lui-même généré de nombreux sous-genres. Si le black metal en a été le terreau, l’ambient, l’IDM, la noise expérimentale, la musique de film et de jeu vidéo, le classique et la folk médiévale en sont les points cardinaux. "Dark Ambient" pour les morceaux pionniers, très liés au metal, "Winter Synth" pour les ambiances glaciales et synthétiques, "Dungeon Noise" pour les projets les plus bruitistes et expérimentaux, "Idyllic Synth" pour ceux aux consonances pastorales, on en trouve bien d’autres. Malgré un genre très codifé on retrouve une certaine liberté d’expression dans la multiplicité de ces sous-genre, ainsi que dans les formats, certains morceaux pouvant durer plus d’une heure, quand d’autres feront moins d’une minute.
Le genre est né au début des années 1990, au départ sous l’éthiquette dark ambient, avec les side projects de certains musiciens issus de la scène black metal, comme Burzum et Mortiis. L’idée est alors d’étirer sur la longueur ces intros ou interludes aux accents cinématiques qui parsemaient les albums de l’époque, pour en faire de véritables projets. Sous-scène d’une sous-scène elle-même déjà très underground à l’époque, la dungeon synth est une véritable musique de niche, extrêmement souterraine.
Avec son esprit résolument « do it yourself », la dungeon synth glorifie l’amateurisme et ne se diffusera d’ailleurs, dans un premier temps, pratiquement que sur des cassettes audio. Il n’est pas rare alors que celles-ci, enregistrées à la maison sur du matériel de fortune, soient simplement qualifiées de « demos » et que les morceaux soient sobrement intitulées "untitled".
À la suite des pionniers dans années 1990, une nouvelle vague de musiciens a repris le flambeau dans les années 2000, et plus particulièrement aux début des années 2010 grâce à l’avénement de la plate-forme de diffusion Bandcamp. Si cette nouvelle vague de dungeon synth se diffuse aujourd’hui principalement sous forme de fichiers numériques, le support cassette y est également toujours très présent. Plus qu’un gimmick, la basse fidélité est en effet souvent un élément constitutif de cette musique qui joue sur la nostalgie des temps anciens. Certains musiciens vont jusqu’à préciser sur la page de présentation de l’album que les fichiers audio sont le « rip officiel » de la cassette.
Certains artistes semblent vouloir se délester de cet aspect low-fi, voire de la dimension sombre issue du black metal, pour s’aventurer vers des compositions plus bucoliques et/ou épiques, qui pourront prendre des allures de grands orchestres philharmoniques (comme le français Erang). Mais une autre, celle qui va nous intéresser ici, tente, elle, bien au contraire de retrouver les sonorités poussiéreuses et malades des années 1990 et de pousser plus avant l’aspect avant-gardiste et minimal de cette musique qui n’est jamais aussi bonne que quand elle arrive à allier au sein d’une même œuvre une dimension très expérimentale, parfois presque conceptuelle, et une autre, plus narrative, sensible et presque désuète.
Une sélection de neuf projets sortis ces dernières années, et qui, plutôt dans une veine sombre, low-fi et expérimentale, sortent du lot.
Ungl’Unl’Rrlh’Chchch – Ungl’Unl’Rrlh’Chchch (2001)
Situé sur les bordures expérimentales du genre, cet unique et mystérieux projet réédité en 2014 (Probablement un side project de Trollmann av Ildtoppberg ) est une pièce de maître encensée par la communauté et qui présente un travail remarquable sur les textures sonores et de nombreuses variations de styles. Le titre « Ungl’ Unl’ Rrlh’ Chchch » est une phrase tirée de la nouvelle L’étranger de H.P. Lovecraft et l’album pourrait, en effet, être la bande son parfaite de l’oeuvre lovecraftienne. Chaque morceau possède une véritable personnalité et un style qui lui est propre. De lentes mélopées vrombissantes et vides de mélodies qui tirent vers la drone et l’ambient, un piano dissonant qui improvise des mélodies inspirées de la musique contemporaine, des orgues saturés et des coeurs angoissants pour une célébration morbide, et, pour clôturer l’album une pure pièce de noise.
– Ungl’unl’rrlh’chchch sur Bandcamp
Old Tower - The Book of Ages (2015)
Le premier projet d’Old Tower, sorti en 2015, avec son minimalisme low-fi, sonne comme un retour aux sources. Un classicisme dark ambient qui tente de rester au plus proche de l’esprit des cassettes poussiéreuses circulant sous le manteau dans les années 1990. Présenté comme un seul morceau de 14 minutes et consistant en trois mouvements, il nous embarque dans un voyage intérieur vers des contrées mystérieuses. Depuis, Old Tower sort régulièrement de nouveaux albums tous recommandables.
– The Book Of Ages sur Bandcamp
Abandoned Places - The Funereal Call (2016)
Dernier projet censé clôturer la série mystérieuse et très remarquée Abandoned Places, cet unique morceau monolithique de 77 mn est un bijou de cohésion minimaliste, un véritable monochrome noir dont la lumière ne s’échappe pas et au fond duquel le temps semble s’être arrêté. L’auteur prolifique de cette série de 8 albums serait également derrière de nombreux autres projets très intéressants dont Mystic Towers, Erdstall ou encore Turonian.
– The Funereal Call sur Bandcamp
Soy Fan Del Dark – SFDD (2016)
La musique de SFDD est ascétique. Chaque morceau se présente comme une miniature, une courte vignette présentant un élément de dungeon synth mis en boucle. Le résultat est rachitique, sombre et hypnotique. Les rythmiques sont sèches et les motifs répétitifs et monochromes. Avant ça Soy Fan Del dark avait déjà sorti un projet assez différent en collaboration avec Bilhazia, un artiste qui penche plutôt vers la tendance expérimentale de la beat scene (comme DTCPU ou Ras G). Soy Fan y lâchait cinq pistes saturées de guitares déjà très répétitives.
– SFDD sur Bandcamp
Apothecarium – Demo II (2016)
Après une première courte demo parue en janvier 2016, Apothecarium revient quelques mois plus tard avec un nouvel opus au sein de la très bonne équipe de Moonworshipper Records. Apothecarium continue, avec Demo II, à débroussailler les mêmes sombres sous-bois qu’auparavant, mais en ayant bien pris soin d’aiguiser encore un peu plus ses outils. Ses orgues fatiguées, sentant la poussière et l’humus, aspirent à la lumière et nous jouent leurs mélodies imprégnées de nostalgie, mais sans toutefois être complètement dénuées d’espoir.
– Demo II sur Bandcamp
Ranseur – Obsidian Throne (2016)
La musique de Ranseur, tout comme ses pochettes (qu’il dessine lui-même), est très minimaliste et plutôt atypique dans la galaxie dungeon synth. Chaque morceau se compose de petites ritournelles qui gesticulent étrangement sur un lit de souffle noise. Si elles peuvent faire écho aux restes de musiques folkloriques médiévales que l’on retrouve souvent dans la dungeon synth, ces mélodies aux relents extra-terrestres nous rappellent également certaines oeuvres de Sun Ra et paraissent finalement plus provenir d’une autre dimension que de notre bon vieux Moyen-Âge (même passé à la moulinette de J. R. R. Tolkien).
– Obsidian Throne sur Bandcamp
Foolish Fire – The Culture of Loss (2016)
Des corbeaux, du vent, un clocher et un orgue. The Culture of Loss est un projet plutôt mineur et atypique de ces dernières années. Malgré son amateurisme et sa simplicité, il tranche par un radicalisme formel et un minimalisme réjouissant. Les deux amples morceaux qui le composent sont constitués de longues plages d’ambiance survolées d’un unique orgue improvisant des litanies dépressive. Il nous transporte dans un univers sombre et désolé, peuplé de charniers et de potences. Grief as a Passion, la suite de The Culture of Loss vient de tout juste de sortir.
– The Culture of Loss sur Bandcamp
Brutus Greenshield - Demo (2017)
La première demo de Brutus Greenshield est une cassette dans l’esprit des années 1990, avec son souffle, ses sombres orgues imprégnées de mystère et ses bruitages d’ambiance. Derrière des mélodies empreintes de nostalgie à la forte puissance évocatrice, on peut discerner le crépitement des feux de bois sous la canopée aux bruits des épées qui s’entrechoquent. Sur sa page Bandcamp, un tag « dungeon jazz » retient l’attention au milieu des éternels « dungeon synth », « dark ambient » et autres « dwarf synth ». On ne trouvera pas de swing, de solo de saxophone ou de contrebasse dans la demo de Brutus Greenshield, on reste bien dans du pur dungeon synth orthodoxe. Mais on y trouvera peut-être un certain sens de la composition et des arrangements plus poussés qu’à l’accoutumée.
– Demo sur Bandcamp
Einhorn – Demo I (2017)
Une des forces de la Dungeon Synth en tant que genre est de rendre accessible des styles musicaux qui peuvent frôler l’expérimental le plus hermétique, en y apportant une dimension narrative et sensuelle. La musique de Einhorn (side project de Tyrannus ) en est l’exemple parfait. Demo I, avec ses deux longs morceaux, arrive à apporter à la noise la plus extrême, une sensibilité particulière et invite l’auditeur à parcourir les espaces sonores les plus fous tout en maintenant constamment un pied dans le réel, ou du moins dans cette réalité imaginaire, peuplée de licornes et de donjons démoniaques. On retrouve d’ailleurs également ce mélange des genres dans les références affirmées dans les titres des morceaux. Quand le premier, The Captive Unicorn, puise son inspiration dans une série de tapisseries de la renaissance, le second, Durlag’s Tower, revisite, quant à lui, un épisode du jeu vidéo Baldur’s Gate.
The Tyrant’s Tower, qui contient la suite de Durlag’s Tower est également à écouter.
– Demo I sur Bandcamp
Liste des titres du mix :
- Foolish Fire – I : Pilgrimage (Edit)
- Old Tower – The Rise of the Specter Part I (Edit)
- Spectral Kingdom – Spectral Kingdom (Edit)
- Turonian – Skeletal Memory (Edit)
- Brutus Greenshield – The Battle Made His Shield Red (Edit)
- Blood Tower – Hidden in the Wallpaper (Edit)
- Ungl’unl’rrlh’chchch – Azathoth (Edit)
- Soy Fan Del Dark – Untitled 1 (Edit)
- Blood Tower – I Heard Terrible Noises Coming From the Attic (Edit)
- YEARNER – Evenings (In Remembrance) (Edit)
- Mystic Towers – Caverns of Crystal (Edit)
- Cloak & Daggere – Fading Presence (Edit)
- Apothecarium – Wet Feet of the Gatherer (Edit)
- Soy Fan Del Dark – Untitled (Edit)
- Abandoned Places – Kalynthia (Edit)
- Lost Chateau Of Montague – I (Edit)
- Abandoned Places – The Funereal Call (Edit)
- Voormithadreth – Ornava (Edit)
- Roman Master – I Died Because I Was Weak (Edit)
Pour aller plus loin :
– Dungeon Synth Blog
– Dungeon Excavation
– Asmodian Coven