Funky Swamp : Le funk dans le rétroviseur
De Pure à Big Crown Records
& , le 27 mai 2021
Retour sur le renouveau du funk rétro, des années 1990 à nos jours, de Pure Records à Big Crown en passant par Desco, Soul Fire, Daptone et Truth and Soul. Tous ces labels qui ont fait renaitre le genre ont un point commun : un certain tagueur parisien des années 1980.
Mix : Jocelyn Anglemort
Quand au début des années 1990, Bando raccroche ses bombes il est alors considéré comme le king du graffiti depuis 10 ans sur Paris, et figure parmi les plus connus d’Europe. Le franco-américain est un pionnier, un des premiers au début des années 1980 à avoir importé cette culture typiquement new-yorkaise sur le vieux continent, et son sens du détail jusqu’au-boutiste, voire obsessionnel, en a fait un des fers de lance de la scène française. Avec ses potes des TCK (Mode 2, Boxer...) et leurs concurrents les BBC (Ash, Jay, Skki...) ils maravent littéralement Paris, marquent les grandes heures du terrain vague de La Chapelle et inspirent toute une génération.
Au sein de cette scène naissante, Bando fait alors figure de garant radical d’une vision puriste du graffiti. Il fait la promotion d’un code d’honneur digne du bushido, avec des règles strictes qu’il suit scrupuleusement, comme l’obligation, pour être crédible, de voler ses bombes et de poser sa marque partout, le plus possible et surtout sur les murs illégaux.
– Voir le documentaire Writers
Au début des années 1990, Bando laisse la main à une nouvelle génération sur les dents, prête à tout pour défoncer la capitale et le reste de l’Europe. Car pour lui c’est tout ou rien, et si notre jeune graffiteur, issu de bonne famille, n’est pas dans l’obligation de travailler pour vivre, il a d’autres plans en tête.
Pure Records
Car Philippe Lehman, de son vrai nom, est un grand fan de funk. Et comme on ne se refait pas c’est avec la même rigueur, le même sens du détail et la même obsession de puriste qu’il collectionne les disques de funk, le vrai, le brut, celui de James Brown.
Ainsi il crée au début des années 1990 Pure Records avec Aldo Rosati. Un label qui ne sortira à ses débuts que des compilations de vieux morceaux de funk, ressortant des bacs des tracks oubliées de Robert Moore ou Lee Moses. Puis, se prenant au jeu, ils publieront des productions contemporaines enregistrées par leurs soins dans le pur style old school et qu’ils glisseront discrètement dans leurs compilations au milieu des autres titres, comme les excellents morceaux du Joey Altruda Quartet ou du groupe maison The Soul Providers. Comme il le raconte avec passion au micro de Get Busy, c’est avec du matos de moyenne gamme et des magnétophones quatre pistes, qu’ils s’évertuent à essayer de retrouver le son typiques des enregistrements analogiques des années 1960.
– Voir l’interview de Bando chez Get Busy
Ils vont alors chercher des anciens musiciens ayant mis en pause leur carrière quand la mode à tourné au début des années 1980. Ils produisent notamment quelques 45 tours de Lee Fields et Sharon Jones, alors gardienne de prison (malheureusement décédée en 2016). Persuadés que les vrais fans de vieux funk ne s’intéresseraient pas à des enregistrements récents, nos deux briscards filoutent en les présentant dans un premier temps comme des rééditions de vieux enregistrements oubliés.
Les compilations de Pure Records feront date et seront le point départ d’une longue aventure, celle du renouveau du funk rétro au tournant des années 2000.
Desco Records
Comme le secteur est naturellement limité en France, Lehman s’installe à New York où il monte dans le sous-sol d’un magasin d’électroménager appelé Desco Vacuum Cleaners, un nouveau label avec un autre fou furieux de funk et de soul old school, le bassiste et ingénieur du son Gabe Roth. C’est la naissance de Desco Records, label lui aussi ô combien séminal qui, après les premiers essais de Pure Records, marquera véritablement la scène funk des années 1990 et inspirera de nombreux artistes et labels.
Le groupe protéiforme The Soul Providers, composé notamment de Gabe Roth (Bosco Mann) et de Leon Michels (El Michels Affair), devient le groupe maison du label et continuera de jouer pour Lee Fields, Sharon Jones et certains autres projets annexes.
La suite
Au tournant des années 2000, nos deux larrons se séparent et abandonnent Desco suite à des visions différentes. Quand Gabe Roth, plus attaché aux sonorités soyeuses de la soul continue l’aventure avec Daptone Records (Sharon Jones, Antibalas, Charles Bradley - RIP -), Philippe Lehman, lui, continue de se concentrer sur le bon gros funk bien brut en créant Soul Fire Records (Lee Fields, The Whitefield Brothers).
En 2004, quand Lehman décide de quitter le business de la musique pour s’adonner pleinement à l’exploration de grottes sous-marines en République Dominicaine, Leon Michels et Jeff Silverman prennent la suite avec les labels Truth and Soul (Lee Fields, El Michels Affair), puis, en 2016, Big Crown Records qui élargit sa palette et propose d’autres genres que le funk de puriste.
On ne compte plus aujourd’hui les labels, plus ou moins importants, qui se lancent dans l’aventure de l’édition de soul et funk à l’ancienne, avec éditions vinyles de 33 et 45 tours, et pochettes old school comme Colemine Records ou Now-Again Records le sous label de Stones Throw.
Sélection d’albums :
Une belle sélection d’albums pour entrer en douceur dans le monde magique du retro funk, de Pure Records à Big Crown Records.
The Soul Providers - Gimme The Paw
Pure Records, 1997
Une des premières sorties originales chez Pure Records, alors spécialisé dans les compilations fétichistes de vieux funk. Le premier album des Soul Providers parait une première fois sous le titre Soul Tequila And Eleven Other Funky Favourites au début des années 1990 et délivre un pur funk traditionnel souvent instrumental. On y croise cependant en guest star le chanteur Lee Fields qui continue, après un premier album à la fin des années 1970, à faire un funk bien cru à la James Brown, et qui sera jusqu’à aujourd’hui un des piliers des label Desco, Soul Fire et Truth and Soul. Les Soul Providers rempileront sous la bannière Desco, avec une fausse bande originale pour un film de kung fu qui n’a jamais existé, The Revenge Of Mister Mopoji, à écouter également.
The Daktaris - Soul Explosion
Desco Records, 1998
Enregistré peu de temps après la mort du grand Fela Kuti, cet album fait figure d’hommage au grand maitre de l’afro beat, comme le souligne la note de pochette « This album is respectfully dedicated to the memory of Fela Ransome Kuti, the Godfather of Afro-Beat. ». Le groupe, monté pour l’occasion, était composé de membres des Soul Providers et du futur groupe phare de la scène afrobeat new-yorkaise, Antibalas. Une autre note indiquant que cet album aurait été enregistré au Nigéria a longtemps trompé beaucoup de monde mais elle ne serait finalement qu’une blague. Ce disque a bel et bien été enregistré à New York, très certainement dans les sous-sol d’un magasin d’électroménager. Le titre de la septième piste, Eltsuhg Ibal Lasiti, comportait tout de même un indice qui pouvait dévoiler la supercherie, lu à l’envers il donne « It Is All A Big Hustle ».
The Fabulous Three - The Best of
Truth & Soul, 2014
Encore une arnaque. The Fabulous Three est un concept plus qu’un véritable groupe et n’est pas composé par les cinq gaillards tout droit issus des années 1970 qui posent fièrement sur la pochette. Il s’agit d’une compilation de morceaux jazz funk instrumental enregistrés autour de l’an 2000 par les producteurs multi-instrumentistes Leon Michaels et Jeff Dynamite accompagnés de musiciens comme Quincy Bright et Michael Leonhart. Phillip Lehman y jouera également de la batterie sur certains morceaux.
Bill Ravi Harris & The Prophets - Funky Sitar Man
BBE, 1997
Derrière le pseudonyme de Bill Ravi Harris, le funky sitar man, se cache Gabriel Roth qui, à coté de sa passion dévorante pour le funk, se passionne également depuis son adolescence pour le sitar indien. Avec ses compagnons de Desco, Mike Wagner à la bass et Philippe Lehman à la batterie, ils sortent deux single dans la maison mère, mais c’est finalement chez BBE Records que sortira l’album. Comme on peut s’y attendre avec cette fine équipe on retrouve donc un pur funk minimaliste bien sec, des reprises de Manu DiBango, des Meters et de James Brown, le tout bardé de solos de sitar bien sentis.
Various - Grazing in the Trash Vol.1 et 2
Soul Fire, 2001
Deux compilations qui résument bien les années Soul Fire en réunissant toutes les sorties en 45 tours du label. Soit une ribambelle de tracks funk, souvent instrumentales, au groove puissant et enregistré avec ce grain poisseux qui fait le charme des sorties du label.
Lee Fields & The Expressions - My World
Truth & Soul, 2009
Lee Fields est aujourd’hui une véritable légende du funk et a commencé sa carrière à la fin des années 1960. Après quelques 45 tours il sort son premier album Let’s Talk It Over en 1980. Puis la mode change et Lee Fields est contraint de laisser de coté la musique et travaille un temps dans l’immobilier pour subvenir à ses besoins, jusqu’à que ce que les gars de chez Pure viennent lui proposer de revenir en cabine pour pousser sa voix au micro. Une voix puissamment expressive et terriblement funky qui a souvent poussé les commentateurs à le comparer avec James Brown. My World synthétise la collaboration très réussie de Lee Fields avec Leon Michels et Jeff Silverman mais toute sa discographie est évidemment à poncer.
El Michels Affair - Enter The 37th Chamber
Truth & Soul/Fat Beats, 2009
C’est à 16 ans que Leon Michels a commencé sa carrière chez Desco en rejoignant les Soul Providers. Depuis, il est devenu un des moteurs de Soul Fire Records, Truth & Soul Records et aujourd’hui Big Crown Records.
Si Leon Michel est constamment au four et au moulin pour multiplier les projets dans tous les sens, El Michels Affair est certainement le projet le plus personnel du producteur multi instrumentiste. Après s’être fait samplé à droite et à gauche, notamment par Jay-Z et Ghostface Killah, il se retrouve à tourner avec le Wu-Tang Clan. Sur Enter The 37th Chamber, et sa suite Return To The 37th Chamber, il s’affaire sur ses instruments à faire des reprises des morceaux du groupe de Staten Island. Deux pièces maitresses. Le groove gritty, sombre et cinématique de la musique du groupe de Staten Island se marie à la perfection avec celle de Michels. Toute sa discographie vaut également le détour mais on mettra tout particulièrement de côté A Tribute, son album hommage à Isaac Hayes.
The Whitefield Brothers - Earthology
Now-Again Records/Stones Throw Records, 2010
Earthology est le deuxième album du groupe allemand, The Whitefield Brothers, sept ans après In The Raw, leur premier opus sorti chez Soul Fire. Ce dernier, déjà un incontournable du genre, mêlait un bon gros funk à l’ancienne à des influences caribéennes et africaines, mais Earthology accentue encore le métissage en incorporant à sa sauce des sonorités psychédéliques, des ambiances éthiopiques et japonaises et les flots de quelques rappeurs de passage (Edan, Mr. Lif, Percee P…).
Tracklist
- The PJs… From Afar - Raekwon and El Michels Affair
- Duel Of The Iron Mics - El Michels Affair
- The World (Is Going Up In Flames) - Charles Bradley
- Gimme The Paw (Feat. Lee Fields) - The Soul Providers
- Breakin’ Through (Feat. El Michels Affair) - The Whitefield Brothers
- Shuvlin’ - The Joey Altruda Quartet
- Solid Funk - Sugarman 3
- Eye For Eye - Mike Jackson and the Soul Providers
- Musicawi Silt - The Daktaris
- Ain’t It Funky Now - Lee Fields & The Explorers
- Everglades - JD & the evil’s dynamite band
- Escapism - Bill Ravi Harris & The Prophet
- Answer me Softly Pt.1 - The Fabulous Three
- Bumpy’s Lament - El Michels Affair
- Addis Ababa - Zafari
- Soul Dig, Part 1 - The Soul Diggers
- Compin’ & Smokin’ - Calypso King & The Soul Investigators
- The Submarine - Mike Jackson & The Soul Providers
- Pep’s - The Fabulous Three
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Mix : Jocelyn Anglemort