Us Maple (1995-2007)
, le 13 mars 2012
Peu de récents groupes « rock » peuvent se targuer d’ être originaux et excitants, surtout que l’étiquette art-rock fait souvent figure de repoussoir dans ce milieu où le cliché est roi. Heureusement pour nous, snobs en herbes, de temps à autres quelques olibrius retrouvent avec joie dans la pratique de leur instrument la véritable signification du mot "jouer". Un jeu qu’Us Maple livre aussi avec les postures de la culture rock, tout en y intègrant brillamment un feeling free jazz (comme le fera plus tard le trio guitares/batterie Storm and Stress).
Who’s Who ?
Mark Shippy (guitare) et Al Johnson (chanteur) jouaient déjà ensemble dans le groupe punk rock Shorty, qui naviguait sans surprise dans un esprit « Jesus Lizard-esque ». Après le split de Shorty, ils rencontrent Pat Samson (batteur) et Todd Rittmann (guitariste) : ainsi naquit le groupe U.S. Maple en 1995 à Chicago, terre bénite du noise-rock.
Avant même de jouer, ces petits coquins s’ étaient déjà entendu à réagencer la musique d’ Elvis à leur manière, en façonnant leurs propres méthodes de composition (citons pour l’exemple ce passage du documentaire de Tony Ciarrocchi [1] où l’on découvre que Al utilise dans son carnet de parole des signes circulaires pleins ou vides, afin qu’il se rappelle comment il doit prononcer chaque syllabe).
Skingraft le défricheur
Impressionné par leurs premières élucubrations (dont une reprise d’ AC/DC !), le jeune label Skin Graft [2] décide de sortir le single Stuck ainsi que leur premier album Long Hair in Three Stages.
Un vidéoclip est même réalisé pour le single, mais ne vous attendez pas à un spectacle épileptique et fashion car on a en fait droit à une parodie du clip déjà ridiculissime des australiens de Beasts of Bourbon (qui reprenaient à leur compte "Cool Fire").
Le radical Sang Phat Editor
Si ce premier album produit par Jim O’ Rourke ne manque pas de qualité et d’ ingénuité, bien que se plaçant avec un peu trop d’ évidence dans le sillon des groupes indie post Sonic Youth, c’ est plutôt avec leur second opus Sang Phat Editor que le groupe va définitivement larguer les amarres en imposant sans complexe son impayable personnalité retorse.
Voilà pourquoi à la première écoute le pauvre auditeur non averti pourrait conclure à un parfait foutage de gueule tant ce qu’ on y entend parait déconstruit et auto-référencé : on est en effet précipité au coeur d’ une fièvre chaotique proche de l’implosion où des guitares rebelles, en l’absence de basse et de rythmes « carrés » crépitent, patinent, bouillonnent...
Paradoxalement on est aussi frappé par la retenue, l’élégance et la sensibilité de l’exécution (doit-on ajouter que le distingué Todd a l’habitude de jouer en public avec un superbe foulard autour du cou...).
Cette longue jam punk ésotérique qui laisserait jaillir discrètement des bribes de mélodies en forme de clins d’ oeil à l’histoire du pop rock est pourtant le fruit d’ un long travail de composition (écoutez les lives pour vous en convaincre !).
Leurs turpitudes qui rappelleront sans doute aux vieux briscards les dézingages blues du Capitaine Beefheart, voir les sauvages happenings des New yorkais de Mars ou de DNA, évoquent aussi les guitares entrelacées des plus contemporains Polvo...
L’apport du jeu de Pat, riche en respirations et nourrit de buzz roll jazzifiants est incontestable, aussi déterminant que fut celui de Tony Williams sur le mythique Out to Lunch !.
Les paroles psychédéliques (dans une tradition poético-hermétique toute beatlesienne) de Al, fréquemment ponctuées de « yeahhh » lascifs, ajoutent en étrangeté mais révèlent aussi l’humour particulier du groupe.
On relèreva aussi que la cover art camouflage fluo est réalisée par Walter Weasel, le capitaine en chef du combo grind progressif The Flying Luttenbachers.
Le sombre Talker
Cédant aux avances du discret mais influent Jim O’ Rourke, le groupe quitte Skingraft pour Dragcity et enregistre en 1999 Talker avec Michael Gira le leader des Swans (vous savez, cet implacable groupe punk indus qui séduit sûrement ses fans par son absence total de second degré).
Et ce Talker est une franche réussite, moins brut que son prédécesseur mais tout aussi mystérieux, voire inquiétant, sans doute l’influence démoniaque de Gira qui déteindra jusque dans la noire pochette de l’album...
Bien fait/ Mal fait ?
Deux albums, directement dans la lignée des précédants, se succèderont mais l’effet de surprise estompé ainsi que l’inévitable « professionnalisation » du groupe les rendra plus dispensables : « Acre Thrills » et enfin « Purple on Time », où Pat est remplacé par Adam Vida.
On trouvera sur ce dernier une très belle reprise de Bob Dylan « Lay Lady Lay » qui concluera magnifiquement cette histoire.
[1] Ce précieux documentaire de Hardeye Films nous montre l’intimité d’ un groupe confiant et studieux durant l’enregistrement de Acre Thrills. On peut y observer le processus de composition d’ un album ainsi qu’ entendre les membres du groupe s’ expliquer sur la manière dont ils travaillent.
[2] Un dessinateur de comics éclairé et amateur de noise rock crée ce label en 1991 rien que pour promouvoir les fantastiques Dazzling Killmen. Avec Melt Banana, les Ruins et Arab on Radar, Skin Graft Records deviendra vite le label phare d’ un avant rock que certains nommeront « now wave » en référence au mouvement new yorkais de 1980. Les mauvaises langues déploreront la moindre qualité des récentes signatures dont les formations semblent grossièrement plagier leurs prestigieux aînés.